La responsabilité des gestionnaires publics
L’ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a créé un régime unifié de responsabilité commun à tous les gestionnaires publics (RGP). Le parlement n’a pas rejeté le projet de loi de ratification : le nouveau régime s’appliquera donc à compter du 1/1/2023.
Il s’agit d’une responsabilité quasi pénale qui sanctionne d’une amende les fautes commises, qui entraîne la suppression de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables prévue par l’article 60 de la loi n°63-156 du 23/2/1963.
La RPP visait à réparer les préjudices subis, et, via les procédures de remise gracieuse, de répartir la responsabilité entre les comptables, les organismes gérés et l’organisation mise en place par l’État. Elle permettait également de sanctionner le comptable qui avait commis des manquements via les sommes non rémissibles. La nouvelle RGP ne permet plus de réparer le préjudice : elle vise uniquement à sanctionner l’auteur d’une faute.
Contrairement à la RPP, les sanctions prononcées sont des amendes : elles ne sont donc pas assurables. Pour autant, le risque encouru par les gestionnaires publics peut faire l’objet d’une assurance permettant d’apporter une assistance juridique au cours de la procédure, et de couvrir les risques autres que l’amende, notamment liées à la responsabilité civile ou aux pertes de rémunérations liées à des sanctions disciplinaires associées à la mise en œuvre de la RGP. L’AMF, assureur de référence en la matière, proposera aux comptables et aux gestionnaires publics un contrat adapté à ce risque spécifique (pour plus de rensignements sur ce contrat, cliquer ici).
Cette responsabilité est une responsabilité spécifique aux gestionnaires publics, c’est-à-dire aux personnes intervenant dans la chaîne financière des organismes publics. Elle s’ajoute aux responsabilités de droit commun applicables à tous les agents publics : responsabilité managériale, civile et pénale.
Le texte ci-dessous vise à indiquer les personnes soumises à la RGP, la nature des fautes entraînant sa mise en œuvre et la nature des sanctions. Enfin, certains points restant en suspens seront signalés.
Sauf mention contraire, tous les articles cités sont des articles du code des juridictions financières.
1 Les conditions de mise en œuvre de la RGP.
Le code des juridictions financières fixe la liste des personnes soumises à la RGP, et la nature des faits sanctionnables.
1a les personnes soumises à la RGP
L’article L131-1 soumet à la RGP l’ensemble des agents publics, ainsi que les représentants, administrateurs ou agents des organismes soumis au contrôle des juridictions financières. Les membres des cabinets ministériels et de ceux des élus locaux sont également soumis à cette responsabilité.
Ils sont toutefois exonérés de cette responsabilité s’ils ont obéi à une instruction préalable de leur supérieur hiérarchique, à condition que cette instruction ne soit pas manifestement illégale et de nature à compromettre gravement un intérêt public (article L131-5). Ils sont également exonérés s’ils ont reçu un ordre écrit préalable émanant d’un ministre ou exécutif local ou une délibération de l’assemblée délibérante locale, à condition que ces autorités aient reçu des informations suffisantes sur l’affaire (article L131-6).
Les comptables publics seront également exonérés s’ils ont signalé à l’ordonnateur une opération susceptible de relever de la RGP, et ont été réquisitionnés par cet ordonnateur (article L131-7).
Les ministres et élus locaux sont en principe hors du champ de la RGP (article L131-2). Il existe toutefois trois exceptions :
- lorsqu’ils ont donné un ordre écrit dégageant la responsabilité du gestionnaire public (article L131-5),
- ou lorsqu’ils ont réquisitionné le comptable (article L131-4),
- ou lorsqu’ils font obstacle au paiement d’une astreinte ou au paiement d’une somme fixée par décision de justice (article L131-8).
Toute personne, y compris les ministres et élus locaux, est passible des sanctions prévues par la RGP lorsqu’il est reconnu comptable de fait (articles L131-3 et L131-15).
Enfin, seule la Cour des comptes peut exonérer les gestionnaires publics de toute responsabilité en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.
1b Les faits sanctionnables
Sont susceptibles de sanction les gestionnaires publics et les comptables :
- qui « par une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens » ont commis « une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif » à l’organisme géré, ainsi que les autorités de tutelle lorsqu’elles ont approuvé ces infractions (article 131-9) ;
- ou dont les agissements font obstacle à une procédure de mandatement d’office (article L131-11).
Les autorités de tutelle sont également susceptibles des mêmes sanctions lorsqu’elles ont approuvé ces infractions.
Les gestionnaires publics occupant un emploi de direction des entreprises publiques ou des structures soumises au contrôle de la Cour des comptes peuvent être sanctionnées lorsqu’elles causent un préjudice à leur organisme « par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles qui [leur incombent] ou par des omissions ou négligences répétées dans [leur] rôle de direction » (article L131-10).
Les gestionnaires publics ainsi que les ministres et exécutifs locaux sont susceptibles de sanctions lorsque leurs agissements entraînent la condamnation de leur organisme au paiement d’une astreinte en raison de l'inexécution totale ou partielle ou de l'exécution tardive d'une décision de justice, ou lorsqu’il font obstacle au paiement d’une somme à laquelle leur organisme a été condamné par une décision de justice. (article L131-14) ou lorsqu’ils octroient ou à eux même un avantage injustifié (article L131-12).
Enfin, une sanction spécifique est prévue par l’article L131-13 pour les gestionnaires publics qui :
- ne produisent pas leur compte
- ou engagent une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans respecter les règles de contrôle budgétaire.
2 La procédure et les sanctions applicables
2a La procédure de mise en œuvre de la RGP
La RGP est mise en œuvre par une chambre du contentieux composée de magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (article L131-21).
Cette chambre pourra être saisie par le ministère public près la Cour des comptes dans un délai de 5 ans courant à compter du jour où a été commis le fait susceptible de constituer une infraction, délai porté à 10 ans pour les gestions de fait (article L142-1-3). Un magistrat est alors désigné pour instruire à charge et à décharge en toute indépendance (article L142-1-4).
Le parquet peut s’autosaisir, mais peut également l’être par les personnes listées limitativement par l’article L142-1-1 :
- le Président de l’Assemblée Nationale et du Sénat ;
- les ministres et élus locaux exonérés de RGP par l’article L131-2 ;
- les juges des comptes et les Procureurs de la république ;
- le Préfet et le Directeur départemental des finances publiques pour les faits ne relevant pas des ordonnateurs de l’État ;
- les chefs de service des inspections générales de l’État ;
- les commissaires aux comptes des organismes situés dans le champ de la RGP ;
- les créanciers pour les défauts d’exécution des jugements condamnant une personne publique au paiement d’une somme d’argent.
En matière de RGP, les audiences seront publiques (article L142-1-6) sauf décision contraire de la Cour .
L’article L142-1-12 précise que la RGP s’ajoute aux responsabilités disciplinaires, ou pénales, la Cour pouvant communiquer aux autorités compétentes dans ces matières les faits susceptibles de les intéresser qu’elle aurait relevés au cours de ses travaux.
Les décisions de la chambre du contentieux seront susceptibles d’appel devant une Cour d'appel financière présidée par le Premier président de la Cour des comptes et composée de :
- quatre conseillers d’État ;
- quatre conseillers maîtres à la Cour des comptes ;
- deux personnalités qualifiées.
2b Les sanctions applicables
Le sanction prononcée est fixée par l’article L131-16. Il s’agit d’une amende d’un montant maximal égal à 6 mois de traitement annuel de la personne sanctionnée, ou un mois pour les faits relevant de l’article L131-13 (non production du compte ou engagement irrégulier de dépenses).
Lorsque la personne sanctionnée ne perçoit pas de traitement ou salaire, l’assiette de l’amende maximale est la rémunération indiciaire maximale d’un directeur d’administration centrale (article L131-17).
Ces amendes reviennent au budget de l’État quel que soit l’organisme au sein duquel les faits sanctionnés ont été commis (article L131-20).
Aucune mesure n’est prévue pour réparer le préjudice subi par l’organisme : les préjudices résultant des faits sanctionnés resteront donc à sa charge.
3 Quelques questions en suspens
À la date de mise en ligne de ces informations (novembre 2022), les décrets, arrêtés et circulaires d’application ne sont pas parus. De nombreux points restent soumis à arbitrage, les positions de la Cour des comptes et de la DGFIP présentant de nombreuses divergences.
La question de l’éventuelle responsabilité civile du gestionnaire envers l’organisme à qui il a causé un préjudice n’est pas traité par la réforme, et relèvera donc de la jurisprudence à venir. En ce qui concerne les comptables de l'Etat, l'article 32 de l'ordonnance dispose que les éventuels déficits seront couverts par l'Etat. Le décret d'application en cours de rédaction rendrait ces dispositions aux comptables de la DGFiP et des EPLE et fixe les conditions de prise en charge.
De même, la définition de la faute grave, du caractère significatif du préjudice financier ou la question de la répartition des responsabilités entre l’agent ayant commis une faute et sa hiérarchie reste à définir. La procureure financière auprès de la Cour des comptes a indiqué lors de l'AG 2022 de l'AFCM que le fait pour une des autorités listée à l’article 142-1-1, en l’occurrence les DDFiP, de ne pas saisir la Cour des faits dont ils ont connaissance pourrait entraîner la mise en œuvre de leur propre responsabilité.
Les textes réglementaires et les premières années de jurisprudences permettront de préciser l’étendue de la RGP et sa définition exacte.